Boivin Bernier et CETAM, 2020 QCTAT 2622
Date de décision: 15/07/2020
Mots-clés: Antécédents médicaux, Cadre normal du travail, Décision favorable à la travailleuse, Événements traumatisants, Incompétence d'une collègue, Lésion psychologique, Paramedic, Situation urgente, Stress, Technicienne ambulancière, Trouble de l'adaptation
La travailleuse est technicienne ambulancière (paramédic). Le 29 novembre 2018, elle consulte son médecin en lien avec une situation stressante vécue au travail. Le médecin prescrit alors un arrêt de travail et pose un diagnostic de trouble d’adaptation avec anxiété secondaire. La CNESST refuse la réclamation.
Est-ce que le fait de travailler au quotidien avec une collègue qui fait preuve d’incompétence lors d’interventions critiques peut constituer une situation qui sort du cadre normal du travail et qui peut devenir en soi un événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la LATMP?
La travailleuse demande au Tribunal de reconnaitre que le trouble d’adaptation avec anxiété secondaire est une lésion professionnelle. Elle explique que son arrêt de travail est entièrement imputable à des événements survenus au travail. Elle ajoute que, bien qu’elle ait déjà consulté des intervenants en psychiatrie, elle a toujours été fonctionnelle et n’a jamais été empêchée de faire son travail pour cette raison. Elle juge ses antécédents sans aucune incidence sur le présent dossier.
De son côté, l’employeur soutient que l’arrêt de travail est entièrement imputable à la condition psychologique antérieure de la travailleuse. Il soumet que la situation qu’elle décrit ne sort pas du cadre normal du travail et que sa lésion découle d’une perception subjective des événements, influencée par une personnalité anxieuse et par un désir obsessif de performance.
Le Tribunal est d’avis que la preuve révèle, au contraire, la présence d’événements objectivement traumatisants qui débordent du cadre normal du travail et qui répondent au caractère d’imprévisibilité et de soudaineté exigé par l’article 2 de la Loi.
De l’avis du Tribunal, toute cette situation s’écarte du cadre normal du travail d’un paramédic. Il apparait tout à fait inusité qu’un supérieur s’inquiète davantage des conséquences sur la carrière d’une employée, alors que l’incompétence de celle-ci pourraient compromettre la sécurité des usagers. Ce l’est davantage de faire peser la gestion de cette situation sur les épaules d’une autre employée qui cherche à dénoncer la situation. Les faits rapportés par la travailleuse sont pourtant très graves et une personne raisonnable pourrait s’attendre à ce que ce type d’information soit prise au sérieux et mérite une intervention immédiate de l’employeur afin d’en vérifier l’exactitude et, le cas échéant, d’assurer la protection des usagers d’abord et avant tout. Or, au contraire, la personne en autorité tente de décourager la dénonciation et d’enterrer l’histoire, puisqu’il en a toujours été ainsi et qu’une employée pourrait perdre son emploi.
Le Tribunal estime également que la gestion de l’incompétence d’un collègue ne revêt pas la même importance dans tous les milieux de travail. Lorsqu’on exerce un travail comme celui de paramédic, duquel peut dépendre la vie des gens, travailler avec une personne qui fait preuve de lacunes dans son travail peut effectivement devenir une situation très stressante. Une erreur pourrait rapidement s’avérer irréparable et entrainer de graves conséquences sur la vie d’un usager. Il est objectivement raisonnable de croire que cette situation engendrait une pression importante pour la travailleuse, qui déborde du cadre normal du travail d’un paramédic.