Lavoie et Forages CCL (1993) inc., 2022 QCTAT 5118
Date de décision: 15/11/2022
Mots-clés: Article 29 LATMP, Boutefeu, Certitude scientifique, Décision favorable au travailleur, Dynamitage, Foreur et contremaître en dynamitage, Intoxication au monoxyde de carbone, Lien de causalité avec le travail, Neuropathie des petites fibres, Prépondérance des probabilités, Présomption de l'article 29, Témoignage d'expert
De 2012 à 2014, le travailleur a occupé des fonctions de foreur et de contremaître en dynamitage. En 2020, il a produit une réclamation pour des diagnostics d’intoxication au monoxyde de carbone et de neuropathie des petites fibres qu’il attribuait à l’exercice de ses tâches. La CNESST a refusé sa réclamation.
Afin de bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 LATMP, le travailleur doit démontrer qu’il est atteint de l’une des maladies figurant à l’annexe I et qu’il a exercé le genre de travail qui y est décrit. L’intoxication au monoxyde de carbone fait partie des maladies causées par des produits ou des substances toxiques énumérés à l’annexe puisqu’il s’agit d’un composé de l’oxygène. Les tâches de contremaître exercées par le travailleur consistaient à se rendre sur les lieux visés après un dynamitage afin de s’assurer de la «qualité du sautage». Il y avait habituellement beaucoup de fumée et le travailleur pouvait y rester durant une période de 5 minutes à environ 1 heure. Le Tribunal retient le témoignage crédible et non contredit du travailleur selon lequel il se rendait fréquemment et rapidement sur les sites de sautage à la suite d’un dynamitage. Le travailleur a démontré avoir été fréquemment en contact avec un gaz toxique dans son environnement de travail, soit le monoxyde de carbone.
Le Tribunal explique que, pour conclure à une intoxication au monoxyde de carbone, la preuve doit démontrer non pas une simple exposition à celui-ci, mais plutôt «la présence d’un taux suffisant ou nocif de monoxyde de carbone dans son environnement de travail», ce qui est le cas en l’espèce. Le Tribunal retient le témoignage de l’expert du travailleur, un spécialiste en médecine du travail, en santé publique et en médecine préventive. En fonction des symptômes rapportés, ce dernier a conclu que le travailleur avait subi des épisodes d’intoxications aiguës au monoxyde de carbone, dont les concentrations ont pu aller de 70 à 220 parties par million. Par conséquent, ce dernier a subi une maladie professionnelle.
L’expert du travailleur estime probable que cette condition soit de type toxique et qu’elle soit reliée à l’exposition du travailleur au monoxyde de carbone lors de son travail. Il fait référence à de nombreux articles de littérature médicale pour appuyer son propos. Plusieurs de ces articles démontrent clairement que la neuropathie périphérique peut constituer une complication neurologique d’une intoxication au monoxyde de carbone. De plus, certains articles font état du fait que les complications neurologiques touchent principalement les membres inférieurs, comme c’est le cas du travailleur. En ce qui a trait au délai d’apparition des séquelles neurologiques, des auteurs mentionnent qu’elles peuvent se manifester tardivement, soit après quelques jours, quelques semaines et même parfois quelques années. L’expert du travailleur conclut que la littérature n’exclut pas qu’une intoxication au monoxyde de carbone puisse entraîner une neuropathie comme celle dont souffre le travailleur.
Le Tribunal retient que la maladie de neuropathie des petites fibres est une condition peu fréquente et qu’elle est bien souvent idiopathique. Le Tribunal précise que selon la jurisprudence, même dans le cas d’une condition plus rare ou d’un diagnostic complexe, le fardeau incombant au travailleur de démontrer le lien de causalité demeure celui de la prépondérance des probabilités, et non de la certitude scientifique.
Bien qu’il se soit écoulé un long délai entre la fin de l’exposition du travailleur au monoxyde de carbone et le diagnostic, la preuve montre que les symptômes étaient présents chez le travailleur depuis un long moment, soit dès la fin de son emploi chez l’employeur, mais que ce n’est que lorsque ceux-ci ont atteint son visage que le travailleur a entrepris un suivi médical plus régulier. Dans de telles circonstances et en présence d’une maladie qui est manifestement difficile à diagnostiquer, la notion de «délai» n’est pas un élément à retenir pour exclure la probabilité d’un lien causal. Par conséquent, le lien de causalité est reconnu.