Viau et Entreprises de réfrigération LS Inc., 2015 QCCLP 4836

Date de décision: 10/09/2015

Mots-clés: Annualisation du revenu brut, Article 2086 Code civil du Québec, Article 63 LATMP, Article 67 LATMP, Article 70 LATMP, Article 75 LATMP, Capacité de gains, Décision défavorable au travailleur, Demande de révision hors délai, Ferblantier, Motif raisonnable, Récidive rechute ou aggravation, Syndrome du canal carpien bilatéral

Cette décision est un très bon résumé des principes généraux de l’indemnité de remplacement de revenu et du processus de calcul du revenu annuel brut du travailleur.

Le travailleur est ferblantier et, le 12 novembre 2012, il a subi une lésion professionnelle de syndrome du canal carpien bilatéral en raison de mouvements répétitifs en lien avec son travail. Le 12 septembre 2014, il dépose une contestation à la CLP contre la décision du 29 août 2014 de la CNESST déclarant sa demande de révision administrative du 13 juin 2014 irrecevable. Selon la CNESST, sa demande est hors délai sans motif raisonnable en vertu de la LATMP. L’objet de sa contestation comporte deux volets : déclarer sa demande du 13 juin 2014 recevable et calculer son IRR selon le revenu maximum assurable en 2013, soit 67 500 $.

Détermination de la recevabilité de la demande

En vertu de l’article 358 de la LATMP, le travailleur possède 30 jours pour demander une révision d’une décision rendue par la CNESST, sinon il doit fournir un motif raisonnable pour le retard en vertu de l’article 358.2 de la LATMP. Le législateur n’a pas défini le mot « notification » dans la loi, donc il faut considérer le sens courant du terme, soit la communication de la décision.

Considérant que le travailleur a soumis une demande de révision le 13 juin 2014 pour une décision rendue le 17 février 2014, la CLP conclut qu’il n’a pas respecté le délai de 30 jours.

Pour déterminer un motif raisonnable, la jurisprudence donne la définition suivante : un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion selon les faits, démarches, comportements, conjoncture, circonstances, etc. C’est la définition utilisée par la CLP avec une interprétation large.

Au moment de sa lésion, le travailleur n’a pas été mis en arrêt de travail. Le travailleur a subi une intervention chirurgicale le 2 décembre 2013. La CNESST lui informe qu’il doit remplir une « Réclamation du travailleur » pour que la Commission puisse déterminer s’il y a une survenance d’une aggravation de la lésion initiale en novembre 2012. Le 5 décembre 2013, la CNESST décide que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation. La CNESST applique le salaire minimum en vigueur au calcul de l’IRR de sa récidive, soit 21 168,84 $. Vu que la situation familiale du travailleur affecte le calcul de son IRR, la C.L.P. mentionne également que le travailleur a un conjoint non à charge, une personne mineure et une personne majeure à charge. La CNESST révise sa décision à plusieurs reprises et le 17 février 2014, elle décide finalement que le revenu annuel brut du travailleur doit être augmenté à 43 703,30 $.

La CLP décrit plusieurs motifs raisonnables justifiant un retard de la demande de contestation, dont le fait d’avoir été induit significativement en erreur par un représentant de l’employeur ou de la CNESST. C’est le cas en l’espèce, car le travailleur s’est fait dire à plusieurs reprises que la seule méthode de calcul de son revenu est la considération de ses gains durant les 12 mois précédant son incapacité et que le seul moyen de le modifier serait de prouver qu’il a gagné plus durant les 12 mois précédant sa lésion. Il ne se sentait donc pas lésé, car il croyait sincèrement et de bonne foi aux informations fournies par les agents de la CNESST. La CLP conclut que le travailleur a été diligent dès qu’il a reçu la bonne information et qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que ce dernier remette constamment en question les informations fournies par la CNESST.

Cette décision souligne la nouvelle façon de procéder de la CNESST, où il retient le salaire minimum en vigueur par défaut et le fardeau tombe sur le travailleur de prouver un revenu supérieur.

Analyse du fond du litige

La CLP doit déterminer le revenu annuel brut qui doit être utilisé pour le calcul de l’IRR à partir du 6 novembre 2012  jusqu’à sa récidive du 2 décembre 2013. Le revenu brut d’une récidive se calcule en vertu de l’article 70 de la LATMP : il faut retenir le revenu le plus élevé entre celui qu’il tire de l’emploi qu’il occupe lors de la récidive et celui utilisé pour calculer l’indemnité initiale. Le Tribunal calcule le revenu brut au moment de sa lésion initiale du 6 novembre 2012 en vertu de l’article 67 de la LATMP.

Pour déterminer le revenu brut du travailleur, il faut d’abord déterminer son type de contrat de travail. Il existe une présomption simple de contrat à durée indéterminée en matière de travail. Le contrat est à durée déterminée uniquement s’il contient une échéance précise, un terme fixe ou une condition résolutoire. En l’espèce, le contrat est à durée indéterminée.

La décision fait également mention des deux arrêts de la Cour d’appel du Québec qui se sont prononcés sur les deux courants interprétatifs du principe d’annualisation. Dans l’arrêt, Héroux c. Groupe forage Major, on précise que l’article 67 de la LATMP n’impose pas l’annualisation et adopte le courant disant de ne pas favoriser l’annualisation, car ce n’est pas toujours représentatif de la situation réelle du travailleur. Dans l’arrêt Simon c. Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois, la C.A.Q. accepte l’annualisation en tenant compte de la nature particulière de la situation de la travailleuse.

Voici les points importants à propos de l’annualisation à retenir en vertu des deux jugements ci-dessus : elle doit favoriser le travailleur ; l’annualisation n’est pas un automatisme, mais une alternative valable ; la détermination du revenu annuel brut est une projection des gains futurs (capacité de gains) ; le revenu annuel brut déterminé doit avoir une corrélation avec la réalité du travailleur ; si on applique l’annualisation, le revenu alors retenu constitue une projection déendable eu égard à la situation future du travailleur. La Cour d’appel ne rejette pas l’annualisation, mais son application aveugle.

La CLP détermine que dans le cas en l’espèce, il y a lieu d’annualiser le revenu brut du travailleur, car il a exercé son métier pendant 21 semaines consécutives. En vertu de l’article 67 de la LATMP, la CLP calcule le revenu brut du travailleur au moment de sa lésion initiale à 51 068,77 $ (45 193,60 $ + 13 % de son revenu pour les jours fériés). Vu qu’au moment de la récidive, le travailleur est sans emploi, la CLP retient le revenu brut de 51 068,77 $ pour calculer l’IRR de sa récidive.

De plus, en raison de la nature particulière du métier de ferblantier, le Tribunal juge qu’on peut appliquer l’article 75 de la LATMP et appliquer le taux horaire d’un apprenti de troisième année au calcul de son revenu brut lors de sa récidive. Le Tribunal décide d’aller à l’encontre du courant jurisprudentiel concernant l’article 70 de la LATMP, car ce nouveau salaire est plus équitable (représente mieux la perte de la capacité de gains du travailleur). N’eût été son incapacité post chirurgie, le travailleur allait reprendre son métier de ferblantier pendant toute l’année 2014.

Le Tribunal détermine qu’il n’est pas possible d’inclure le montant horaire versé par l’employeur pour l’approvisionnement d’équipement de sécurité ainsi que les cotisations de l’employeur au régime de retraite et d’assurance du travailleur à son revenu brut. Ces cotisations ne sont pas incluses à l’article 67(2) de la LATMP et elles ne peuvent donc pas être considérées dans le calcul du revenu brut du travailleur.

La CLP conclut finalement que l’IRR du travailleur pour sa récidive devrait être calculé selon un revenu brut de 63 274,94 $.

 
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