Mignault et Chemin de fer QNS & L, 2024 QCTAT 949
Date de décision: 15/03/2024
Mots-clés: Article 2 LATMP, Article 29 LATMP, Article 30 LATMP, Cancérogène, Certitude scientifique, Conducteur-électromécanicien, Décision favorable au travailleur, Exposition à des fumées d'incendie, Fumées toxiques, Littérature scientifique, Lymphome lymphoplasmocytaire de type Waldenström, Métallos, Voies ferrées
Depuis 1990, le travailleur a occupé des fonctions de conducteur-électromécanicien de meuleuse de rail auprès de 2 employeurs. Il a produit une réclamation pour un diagnostic de lymphome lymphoplasmocytaire de type Waldenström, qu’il attribuait à son exposition aux fumées d’incendie sur le bord des voies ferrées. La CNESST a refusé sa réclamation.
Le tribunal explique que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue au nouvel article 29 LATMP. En effet, seul un travailleur qui est diagnostiqué avec un lymphome non hodgkinien et qui exerce le métier de pompier combattant pour une ville ou une municipalité après une durée d’emploi minimale de 20 ans peut en bénéficier. Il reste donc à déterminer si le travailleur a subi une maladie professionnelle au sens de l’article 30 LATMP.
Le travailleur fait valoir que son principal collègue s’est également vu diagnostiquer un cancer, soit un lymphome malin non hodgkinien B, et ce, approximativement à la même période que lui et après une durée d’exposition similaire. Or, la preuve médicale révèle que ce lymphome ne correspond pas à un lymphome lymphoplasmocytaire de type Waldenström, même si ces 2 lymphomes se trouvent dans la catégorie des lymphomes non hodgkiniens. Le lymphome lymphoplasmocytaire de type Waldenström est une maladie très rare qui ne touche annuellement que 3 ou 4 individus par million de personnes. Par ailleurs, la simple allégation voulant que d’autres travailleurs chez l’employeur soient affligés de cette maladie n’est pas suffisante pour démontrer que cette dernière est caractéristique du travail du travailleur. Rien dans la preuve ne permet de conclure qu’un nombre considérable de personnes effectuant le travail de conducteur-électromécanicien de meuleuse de rail sont atteintes de la même maladie que le travailleur ou que cette même maladie est présente chez les personnes qui effectuent ce genre de travail. Même si le Tribunal reconnaît que les conducteurs-électromécaniciens de meuleuse de rail, tout comme les pompiers professionnels, sont exposés à des fumées et à des feux dans le cadre de leur emploi, il ne peut se servir des études épidémiologiques réalisées exclusivement auprès des pompiers professionnels pour conclure que le lymphome lymphoplasmocytaire de type Waldenström est caractéristique de l’emploi du travailleur. En effet, le Tribunal ne connaît pas précisément la fréquence et l’intensité de l’exposition aux fumées d’incendie pour chacun de ces métiers.
Le travailleur a démontré que sa maladie est reliée aux risques particuliers du travail qu’il a exercé chez l’un de ses employeurs. La preuve prépondérante démontre qu’il a été exposé dans le cadre de son emploi à des fumées toxiques, y compris à des agents cancérogènes probables. Selon les enseignements de la Cour supérieure, devant des diagnostics méconnus, il faut se garder d’imposer au travailleur un fardeau de preuve assimilable à la certitude scientifique, alors que la communauté médicale n’est pas en mesure de le faire. En outre, l’absence de données scientifiques ne signifie pas automatiquement qu’il ne faut pas reconnaître de relation causale. En l’espèce, il existe un ensemble de faits graves, précis et concordants qui permettent de reconnaître un lien de causalité entre la maladie du travailleur et son emploi. En effet, ce dernier a été exposé de façon répétitive et chronique, pendant plus de 20 ans, à des fumées d’incendie de divers types: fumée de végétation, fumée de dormants, fumée de machinerie, fumée et poussière de meulage ou d’opération ainsi qu’à la fumée de 3 feux de forêt. Le travailleur ne portait aucune protection respiratoire lors de l’exécution de ses tâches d’observation et d’extinction des incendies. De l’avis de 2 experts, il est possible de comparer l’exposition à des fumées d’incendie du travailleur à celle des pompiers professionnels. On trouve plusieurs produits toxiques capables d’induire des lymphomes non hodgkiniens dans la fumée d’incendie, soit du 1,3-butadiène, de la dioxine, du perchloréthylène, du trichloréthylène, du benzène et du styrène. L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail rapporte un excès de 42 % de risque de développer un lymphome chez les pompiers professionnels. Le travailleur a également été exposé à de la créosote et à des hydrocarbures dans le cadre de son emploi. Selon le Centre international de recherche sur le cancer, le diesel est classé comme un cancérogène avéré pour l’homme, tandis que la créosote est classée comme un cancérogène probable. Il n’y a pas de consensus dans la littérature scientifique quant à une exposition néfaste au-delà de laquelle le risque de développer un lymphome non hodgkinien est statistiquement établi ou à un seuil minimal sécuritaire. Le travailleur ne présente aucun facteur de risque personnel reconnu en lien avec le développement d’un lymphome non hodgkinien. La simple coïncidence ou l’effet du hasard ne peuvent expliquer à eux seuls que 2 travailleurs occupant le même emploi présentent 2 pathologies voisines qui touchent le système immunitaire.
La contestation du travailleur est accueillie, le travailleur a droit aux bénéfices de la LATMP